Les navires des historiens quittent-ils le port ? Si nous disposons de nombre d’excellents travaux sur la construction navale, la sociologie des gens de mer ou les routes et les flux maritimes, le bâtiment confronté aux éléments ainsi que la vie à bord sont des réalités bien moins souvent étudiées.
L’historien confronté à bien des interrogations d’ordre technique se heurte à la fois à la relative rareté des sources et au fréquent mutisme de l’équipage sur sa vie et son travail à bord. Les évidences et la routine sont rarement consignées par écrit, à la différence de l’insolite et de l’exceptionnel.
À partir d’exemples pris, de l’Antiquité à nos jours et sur les principales mers du globe, de la Méditerranée au Pacifique, le navire est ici envisagé comme un système de moyens techniques mis en œuvre par des hommes dotés de savoir-faire dans un environnement spécifique qui impose ses contraintes. On verra donc aussi bien les dommages lents et imperceptibles du temps et des éléments que ceux infligés par la brutalité des hommes et de la nature, les précautions prises comme les réparations à effectuer, les pratiques de navigation tout autant que les approvisionnements et les comportements à bord.
Cueillis au fil des littoraux tantôt européens (goémon, barilles), tantôt lointains (wakame), prélevés au fond des mers (corail, éponges, fruits de mer), nombreux sont les organismes marins exploités par l’homme. S’ils arrivent souvent dans nos assiettes, ils entrent aussi dans des circuits commerciaux complexes et dans des chaînes de transformation artisanales ou manufacturières sous l’Ancien Régime, industrielles à l’époque contemporaine.
Ces ressources sont désormais au cœur de nos préoccupations, que l’on s’inquiète de leur épuisement ou que l’on en prospecte de nouvelles. Elles stimulent aussi les convoitises et renforcent le mouvement de territorialisation des mers et océans. De tels enjeux, si actuels, n’en sont pas moins à considérer dans une plus longue durée, ici depuis le xviiie siècle. C’est là tout l’intérêt de ce numéro 24 de la Revue d’histoire maritime, riche des analyses des spécialistes reconnus de plusieurs disciplines.
À travers ce numéro, les directeurs de la Revue souhaitent mettre en place dans l’historiographie française une analyse de l’économie de la guerre navale, très présente chez les historiens britanniques, en particulier depuis la parution en 1989 du célèbre ouvrage de John Brewer, The Sinews of Power.
Volontairement très ouvert, il présente tour à tour comment la piraterie de l’époque hellénistique doit être comprise comme une activité de prédation maritime et non pas seulement analysée en termes de guerre sur mer ? Quelles contraintes financières et quels enjeux politico-économiques ont présidé à l’activité navale fatimide en Égypte ? Ou bien encore comment le Parlement français, au début de la troisième République, n’a cessé de chercher à imposer à la Marine son contrôle, notamment financier, par l’intermédiaire des budgets ?
Six études accompagnent composent la rubrique Varia : les marins hollandais et la navigation en Méditerranée au xviiie siècle ; la Méditerranée des chansons de marins de l’Europe du Nord-Ouest à l’époque moderne ; les officiers de marine britanniques et la Méditerranée au xixe siècle : un regard intime et singulier ; naviguer en Normandie littorale vers 1660 ; de l’Ancien Régime au Premier Empire : les officiers et les équipages de la marine militaire française ; la Grande Guerre sur mer : la Marine et les marins en guerre.
L’histoire maritime et l’archéologie sous-marine intéressent aujourd’hui un public de plus en plus nombreux. L’une et l’autre ont connu des progrès considérables sans pour autant toujours se rencontrer. Elles sont pourtant largement complémentaires, comme le montre ce numéro spécial dirigé par Christophe Cérino, Eric Rieth et Michel L'Hour, qui a pour but de faire connaître à l’ensemble des amateurs d’histoire maritime, au‐delà des archéologues spécialisés, le chemin parcouru depuis un demi‐siècle par cette discipline en termes scientifiques et techniques. Elle le doit à une formation de plus en plus poussée des archéologues, aux effets d’interaction suscitées par les différentes découvertes, mais aussi et très largement aux progrès des techniques employées, notamment ceux de l’informatique, de la photographie numérique et des instruments qui leur sont liés. Le patrimoine immergé devient ainsi de plus en plus accessible et donc de mieux en mieux connu. Les technologies les plus avancées nous permettent par exemple d’étudier avec une grande précision les traces laissées dans les fonds sous‐marins par les grands conflits mondiaux du XXe siècle. Les contributions ici réunies permettent d’en prendre pleinement conscience, et le lecteur découvrira ces techniques et leur évolution ainsi que les immenses possibilités qu’elles offrent, grâce notamment à une riche iconographie (+100 clichés) en couleur. Le numéro se fait aussi l’écho des interrogations climatiques actuelles qui tournent nos regards vers le niveau de la mer et l’évolution des littoraux, où l’apport de l’archéologie sous‐marine est considérable.
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